“Mon master à Sciences Po. Bordeaux : les atouts et des limites d’une formation dans un IEP”

Jeanne Martin Sciences Po Bordeaux

Jeanne Martin, diplômée d’une licence en histoire mention science politique à l’ICR (2018) et diplômée d’un master en affaires européennes de Sciences Po. Bordeaux (2020) revient sur ses deux années, en mettant en évidence les atouts et les limites des Instituts d’études politiques.

Le choix d’un master à Sciences Po

J’ai intégré Sciences Po Bordeaux en 2018 après avoir obtenu ma licence en Histoire parcours Science Politique à l’ICR.

J’ai choisi de faire un master en Affaires européennes. Très indécise, j’ai finalement choisi mon orientation un peu par hasard. Je ne voulais pas aller en Relations internationales ou en Sécurité-Défense, car le domaine est tellement à la mode qu’aux niveaux des débouchés, je craignais que ce soit compliqué (et aussi car le monde de la Sécurité-Défense ne m’intéressait pas du tout). Finalement, les Affaires européennes étant générales et touche-à-tout, me permettaient de me spécialiser dans quelque chose qui m’intéressait en gardant un grand éventail de débouchés. J’ai ensuite choisi Sciences Po pour les avantages de l’école et des portes qu’elle ouvre, mais aussi par fierté. Une part de moi voulait montrer aux autres que j’étais capable d’avoir le concours et de rentrer à Sciences Po.

J’ai donc candidaté à Sciences Po Bordeaux pour leur master dans ce domaine et passé le concours. En parallèle de l’examen du dossier et du projet professionnel, ce concours consiste en trois épreuves : une dissertation de Culture générale à partir d’un dossier thématique en rapport à la majeure du master choisi, et deux épreuves de langues (anglais et LV2 au choix). À l’issue des épreuves et de l’examen du dossier, les candidats admissibles retenus sont reçus en entretien, généralement par le responsable du master sélectionné et un autre professeur. La liste des candidats admis est ensuite publiée dans les deux semaines, j’avais cependant eu la chance que la responsable du master Affaires européennes m’appelle directement à peine quelques heures après mon entretien pour m’annoncer mon admission !

Je suis donc rentrée à Sciences Po Bordeaux en septembre 2018, je suis sortie diplômée en 2020.

Mon passage par un IEP m’a permis d’avoir un avis plus critique sur ce type de grande école. Évidemment je ne suis passée que par l’IEP de Bordeaux, mais pour en avoir discuté avec des étudiants de tous les autres IEP au cours de mon cursus, l’ensemble des Instituts ont de grandes similarités.

Les atouts d’une formation dans un IEP

Un enseignement pluridisciplinaire

J’y ai apprécié l’enseignement pluridisciplinaire pour lequel Sciences Po est notamment connu. Si j’ai étudié les Affaires européennes et les Affaires publiques, j’ai également eu des cours plus transversaux comme la Culture générale et l’économie (et là-dessus, je tiens à confirmer la rumeur tout de suite, les  « Sciencespistes »  ne sont globalement pas des économistes). Les cours de Culture G peuvent prêter à sourire, j’ai quand même dû traiter des sujets comme « la nostalgie », « le vert » ou « pourquoi tant de violence ? » ! Malgré tout, la CG a certains bénéfices : apprendre à réfléchir et à mobiliser des connaissances transversales rapidement, organiser ses idées et développer un argumentaire sur des sujets très variés en gérant le stress et le temps. C’est un peu cet « esprit Sciences Po » dont on parle parfois : ce mélange entre pluridisciplinarité, culture générale, curiosité, méthodologie et cet aplomb qui permet de répondre à tout. 

Cette pluridisciplinarité m’a aussi permis de ne pas m’enfermer : après le diplôme, les débouchés sont larges, notamment en raison de l’adaptabilité de ceux qui sortent de ces écoles. Pour les indécis, la pluralité des débouchés est aussi bien pratique. De même, Sciences Po rend finalement assez adaptable, peu importe le sujet, ce qui représente un gros avantage et du potentiel pour la vie professionnelle.

La méthode de travail

La manière de travailler à Sciences Po est également pertinente. Comparé à l’ICR où j’ai réalisé la majorité de mes TD seule, il y a énormément de travaux de groupe en IEP, voir uniquement des travaux de groupe quand je repense à ma 5e année ! Cela oblige à travailler avec d’autres (et parfois avec des gens qui nous exaspèrent) et comme l’ensemble de ses travaux résulte en un exposé, on est donc forcé de s’exprimer très régulièrement à l’oral, qu’on soit à l’aise ou pas pour parler en public. Les IEP forment donc bien aux compétences transversales : le travail d’équipe, l’adaptabilité l’aisance à l’oral, une certaine forme d’audace également quand je me rappelle certains exposés ! Ce sont des compétences très utiles par la suite.

Le profil des étudiants

Autre chose que j’ai apprécié à Sciences Po : le profil des étudiants, surtout en Affaires européennes. Grâce aux filières binationales proposées à Bordeaux, ma promo comptait des Espagnols, des Allemands, des Italiens, des Roumains, etc. Des gens avec des profils très variés, curieux et engagés pour leurs idées et leurs valeurs. Plusieurs fois, les grandes discussions et débats passionnés démarrés en cours se sont poursuivis jusque dans les couloirs et le tram ! La pluralité des profils est vraiment une richesse, renforcée par la pluralité de l’offre en master, et tout ce petit monde se côtoie dans les associations. Et les assos dans un IEP, c’est important ! Elles sont nombreuses et variées, de même, les équipes sportives sont extrêmement présentes. Le prestige de ces écoles permet aussi d’attirer des personnalités politiques et culturelles pour des conférences, l’ensemble rend la vie extra-scolaire enrichissante.

La renommée de l’école

Enfin, Sciences Po est lié à sa renommée, et cette renommée attire les étudiants. Évidemment, je n’ai pas fait Sciences Po uniquement, car c’est Sciences Po ! Mais sachant que j’avais les moyens d’intégrer cette école, la renommée de l’établissement a été un argument face à un autre master dans une université. 

Sciences Po ouvre effectivement des opportunités. J’ai pu faire des stages au Ministère des Affaires étrangères et au Parlement européen, évidemment. Aujourd’hui je suis collaboratrice à l’Assemblée nationale. Je n’ai pas été recruté exclusivement car j’avais un master d’un IEP, beaucoup de gens ont un master d’IEP ! Mais ça participe quand même. Les recruteurs connaissent le profil de Sciencespistes et ça les rassurent. Ainsi l’écrasante majorité des stagiaires que j’ai croisé tant au MEAE qu’au Parlement européen (parmi les Français) sortent d’un IEP ou d’une grande fac parisienne, de même pour beaucoup de contractuels et d’agents. En travaillant maintenant à l’Assemblée nationale auprès d’une députée, je constate qu’il y a également pas mal de profil Sciences Po autour de moi. C’est une forte endogamie ! Cela est néanmoins basé uniquement sur mon ressenti dans ses institutions, je ne peux pas parler pour les autres secteurs que je ne connais pas.

Les limites de cette formation

Bon, cela dit Sciences Po tout n’est pas non plus fantastique. J’ai pas mal de choses à nuancer sur Sciences Po qui viennent en partie contredire ce que j’ai dit plus haut.

Une renommée relative loin de se suffire à elle-même

Je parlais de la renommée des IEP. Oui, c’est une réalité, mais pas un absolu. Depuis que je suis passée par cette école, j’en suis aussi critique, Sciences Po n’est pas une fin en soi ! Plusieurs milliers d’étudiants sortent chaque année des 10 IEP donc la concurrence reste tout aussi rude, encore plus si on prend en compte les diplômés des autres grandes écoles hors IEP, des universités, etc.

Le manque de spécialisation

Autre point : à force de faire du pluridisciplinaire, on ne se spécialiste en rien. 

La pluridisciplinarité a vraiment des avantages, mais aussi des limites. Beaucoup de sujets sont abordés, mais sans aller au fond des choses. Ça a tendance à rester du superficiel, d’où le surnom de « Sciences Pipo ». Comparé à l’ICR où nous allions au fond des choses, j’ai eu l’impression de survoler beaucoup de sujets à Sciences Po, sans réellement les étudier plus en profondeur. Intellectuellement, j’en ai ressenti de la frustration et un manque de stimulation.

J’ai aussi eu le sentiment que la Culture générale des étudiants avait tendance à être parfois un peu superficielle (pas pour tous évidemment). J’ai trouvé que la variété des références n’était pas extraordinaire, qu’on retombait énormément sur des citations et concepts de Bourdieu et Durkheim. Beaucoup maîtrisaient très bien l’actualité et l’Histoire immédiate, mais n’avait pas forcément une grande Culture générale, avec un grand « C ». Pour reprendre une expression connue à l’ICR que nous devons à notre chère Madame de La Foye, c’était parfois « culture confiture ».

Au-delà de la question de la Culture générale, je pense vraiment qu’être passée par l’ICR avant est une chance, ça rend nos parcours plus riches et nous donne une solide base de connaissances. Le concept d’un « esprit Sciences Po » s’accompagne d’un certain formatage, et ne pas avoir fait 5 ans dans la même école est alors bénéfique car on a appris une autre méthodologie en licence, tout en étant capable de reproduire celle demandée à Sciences Po.

Beaucoup de paraître et de compétition

Je suis aussi mitigée sur les personnes que j’ai pu y croiser. J’y ai vu des gens formidables, vraiment, et des gens bien moins formidables. Plus ou moins, ouvertement, certains cherchaient essentiellement le réseautage, les amitiés intéressées. C’est un milieu avec des hypocrites, il faut le savoir. En faisant la part des choses, j’y ai noué de vraies amitiés, mais j’ai également été très déçue par d’autres.

Il y a une vraie compétition au sein même de l’école, des promotions. Cette compétition ne démarre pas sur le marché du travail mais au sein même des couloirs de l’IEP. Pendant la recherche de stage en début de la 5e année, beaucoup étaient réticents à l’idée de parler de leurs candidatures, dire où ils prospectaient Tout ça de peur que quelqu’un ne les coiffe au poteau ! À ce moment, un étudiant de la promotion d’Affaires publiques demandait beaucoup autour de lui ce que les uns et les autres allaient faire comme stage : la plupart préféraient rester évasifs. D’ailleurs, les étudiants du master d’Affaires publiques (du lobbying si vous préférez) s’appelaient eux-mêmes “les Sharks”, ça plante le décor ! Il m’est aussi arrivé de m’écharper avec un autre étudiant de ce master qui trouvait déloyal que des personnes de ma promotion d’Affaires européennes prospectent pour des stages dans les Affaires publiques et des cabinets de conseil.

Dès mon arrivée dans l’école j’ai trouvé une certaine compétition : d’où venons nous ? qu’avons-nous fait avant ? quelles études ? quels stages ? Et ensuite la compétition prend tout son sens quand il s’agit de savoir qui à trouver le meilleur stage de fin d’études, pour ensuite avoir la meilleure insertion professionnelle. On retrouve cela jusque dans les soirées, de manière plus insidieuse : qui aura raison ? qui paraîtra le plus cultivé ? aura le meilleur point de vue ou sera le plus éloquent ?

Un réel manque de professionnalisation

Enfin, le point noir de Sciences Po reste à mon sens le manque de professionnalisation. Je le dis plus particulièrement pour Sciences Po Bordeaux où j’ai étudié, mais c’est un retour que j’ai eu d’étudiants dans d’autres IEP également. Les IEP chérissent et entretiennent très bien leur réseau des anciens, c’est indéniable. Sciences Po Bordeaux a également un pôle Carrières et Partenariats très actif et réactif. Naturellement, c’est aussi à l’étudiant de se prendre en main et de ne pas attendre que l’école lui fournisse tout !

Malgré tout, la formation reste essentiellement théorique, et on arrive bien souvent à la fin de son master 2, à chercher un stage de fin d’études avec une expérience professionnelle très limitée. Il est possible de faire des stages dans son cursus, mais c’est au bon vouloir des étudiants, essentiellement pendant l’été. J’étais en attente de concret et ce manque de professionnalisation est pour moi le gros point faible. Contrairement à d’autres formations ou écoles qui insistent sur la professionnalisation avec une alternance ou des stages longs dès le M1, j’ai trouvé ce manque de professionnalisation dommageable. Seuls quelques masters peuvent se réaliser en apprentissage à Bordeaux par exemple.

En bref ?

En plus bref, étudier dans une IEP a vraiment des avantages et j’ai trouvé que c’était un bon complément après l’ICR. Maintenant, ce n’est pas une fin en soi. Si vous souhaitez faire un master dans un IEP, sachez ce que vous venez y chercher. Un master dans une grande école comme Sciences Po n’est absolument pas le gage absolu de réussite, mais ça vous donnera des clefs, comme chaque master. Ensuite, c’est à vous de vous en servir et de construire votre parcours. En restant très général et pluridisciplinaire, ce type de master est à double tranchant, car pour une personne indécise, le manque de spécialisation du master renvoie à une délicate situation à la fin du M2 quand il s’agit de s’insérer dans la vie professionnelle ! Se spécialiser permet à l’inverse de ne pas être confronté à la crise existentielle de la fin du master, mais encore faut-il avoir un projet professionnel plus construit.

Personnellement, j’ai improvisé depuis le début de mes études, et j’improvise encore aujourd’hui ! Et on s’en sort ! Et finalement, c’est là que je vois ce qui est peut-être le plus grand avantage que j’ai trouvé à faire Sciences Po : être adaptable pour savoir rebondir !